Randy Weston a reçu un hommage posthume de son ami Bara Diokhané. L’avocat et artiste plasticien de Dakar & New York, ami de plus de 40 ans du célèbre jazzman, a projeté le 1er septembre dernier – trois ans jour pour jour après le décès de Weston- son film : Randy Weston, un Africain né en Amérique. C’était sur l’île de Ngor au Complexe Yaadikoone, l’antre du cinéaste Djibril Diop Mambety. Autant dire un lieu chargé, pour voir ce documentaire sur la vie du pianiste, militant du brassage des cultures, dont la jeunesse et l’intelligentsia africaines mais également la diaspora devraient tirer appréciation et inspiration. Car comme on dit, un grand n’est pas un petit. Et si l’homme nous est restitué, la richesse et la profondeur qu’il a su donner à sa trajectoire aussi.
Pianiste de légende, icône de la musique, incontournable du jazz, il était passeur de liens entre l’Amérique et l’Afrique mais aussi passeur de mémoire entre une terre-mère et sa diaspora.
Dans un contexte marqué par une mondialisation exacerbée, la quête de sens se révèle de plus en plus compliquée. Les usurpateurs plébiscitent le clinquant et tentent d’étouffer le réel, l’authentique. C’est pourquoi raconter Randy Weston, ce chantre du réel, né en 1926, et qui traverse le siècle, dans un documentaire a été une inspiration géniale tant sa vie peut servir de repère à toute âme d’afrodescendant perdue, faute d’avoir trouvé le sens. C’est la prouesse du réalisateur Bara Diokhané!
Quête de sens
On dit « faire d’une pierre deux coups », Bara Diokhané a réussi, lui, la passe de trois. D’abord rendre hommage à Randy Weston, un ami de 40 ans. C’est le signe d’une fidélité, marque des grands hommes. Ensuite, le film est un magnifique clin d’œil au Jazz que Randy Weston assimilait à l’amour et à la vie.
« Charlie Parker, Art Tatum et les autres n’étaient pas que des jazzmen. C’étaient des hommes de foi. Ils étaient guérisseurs et leurs remèdes étaient la beauté et l’amour de la vie », disait ce grand admirateur de Monk et compagnon de route des Dizzy Gillespie, Miles Davis, Charlie Parker… un témoin clé !
Dans le documentaire, la séquence où Pierre Thiam le fameux Chef (oui, oui il est dans le film) partage la discussion qu’il eut avec Randy Weston à propos de l’éclosion du jazz et des grosses péripéties du mouvement, est extrêmement instructive. Saint-Louis Jazz, qui voulait rendre hommage au célèbre pianiste serait inspiré s’il inscrivait le film au programme des 30 ans du festival. De toute façon, tous les festivals en terre afro-caribéenne seraient inspirés de le faire car Randy Weston, un Africain né en Amérique replonge celui qui le regarde dans ce qu’on peut appeler la genèse des musiques telles que le jazz, le blues, le reggae et, au-delà, rappelle l’impact que la création de ces afro-descendants a eu sur la marche du monde.
Enfin, troisième point, le film tend la main aux innombrables afrodescendants en quête d’identité et les entraine dans l’existence pleine de sens de Randy Weston, qui a résolu avec brio le conflit entre la terre d’origine et le lieu de naissance. Car Randy Weston est un noir américain né à Brooklyn (New-York) qui avait trouvé en son africanité sa voie. Beaucoup d’Africains de l’étranger qui sont également tiraillés entre leur homeland et terre d’immigration trouvent en ce film des réponses insoupçonnées. On n’a pas à choisir entre sa mère et son père. On choisit la voie dans laquelle notre vie fait sens.
« C’est en Afrique que j’ai découvert le véritable rôle d’un musicien. Nous sommes des historiens, et, en tant que tels, il relève de notre mission de raconter au peuple la vraie histoire de notre passé, et lui offrir une meilleure vision du futur. » Ce que Randy Weston disait du musicien vaut certainement, au bout du compte, pour tout afrodescendant.
Raconter au peuple noir la vraie histoire de son passé, et lui offrir une meilleure vision du futur : en cela, le jazzman était complètement en phase avec Cheikh Anta Diop. À propos de l’éminent égyptologue, des passages du film relatent, avec une intense émotion, de succulents moments entre le musicien et le savant.
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Procession pour un homme monde
Le devenir de l’Afrique est au cœur du film de Bara Diokhané. L’Afrique doit connaitre son histoire, faire un travail de mémoire et s’adosser à sa culture. C’est ce dont témoigne la magnifique procession dans la cathédrale St. John the Divine, à Harlem, le 10 septembre 2018 lors des funérailles de Randolph Edward Weston « Chief » plus connu sous le nom de Randy Weston.
L’entrée du corps du pianiste dans l’église, accompagnée par des percussionnistes d’origine africaine, vaut le détour. Entre le Yoruba drum, le derbouka maghrébin et l’omniprésence du sabar Sénégalais, la secousse émotionnelle était forte. Heureusement Bara, venu accompagner son vieil ami, laissa tourner sa tablette. De nombreuses célébrités noires présentes dans l’église n’ont pu retenir leurs larmes en voyant cette entrée tambour-battant. Le légendaire contrebassiste Ron Carter encore plus ! En effet, rapporte Bara Diokhané, le musicien revenait d’une autre cérémonie funéraire : celle de Miles Carter son propre fils. Malgré tout, il tenait à être là auprès du Chief et se tenir à coté de madame Weston, la sénégalaise Fatoumata Mbengue.
« Ron Carter avait souhaité que Randy jouât aux funérailles de son fils Miles. Malheureusement le pianiste quitta la scène la veille », renseigne Bara.
L’église est un moment poignant du film. Cette séquence où se succèdent sur scène des musiciens venus des 4 coins du monde, en plus de son propre groupe African Rhythms, résume parfaitement la vie de recherche de cet homme-monde qu’est Randy Weston. De son quartier de Brooklyn, à Tanger, en passant par Annecy, Dakar, Tokyo, Lagos, Randy Weston n’a jamais cessé de célébrer le jazz et ses pionniers, de briser les frontières, de marier les mélodies et de rendre hommage aux ancêtres auxquels son âme était profondément attachée. Son album The Spirit of Our Ancestors vaut tous les discours. Parcourir le monde pour mieux se rapprocher des ancêtres.
Ce n’est pas la taille qui fait de Randy Weston un géant
Ses ancêtres, Randy Weston a voulu les rejoindre au propre comme figuré. Comme il l’avait fait lorsque son fils Azzedine, percussionniste inspiré par les rythmes de Doudou Ndiaye Rose décéda, et qu’il dispersa ses cendres sur l’océan Atlantique au rythme des sons du tambour-major, Randy a souhaité le même rituel à sa mort. Fatoumata a respecté sa volonté. Même cérémonial, même endroit, avec à la baguette -non pas Doudou Ndiaye Rose parti en 2015, mais Moustapha Ndiaye Rose, son fils !
Bara Diokhané, présent lors de ces deux évènements avait encore son smartphone pour immortaliser l’instant. Tout le film d’ailleurs a été capturé grâce au téléphone et à la tablette de Bara Diokhané. Chapeau aussi au génial montage de Claude Diaw de l’Atelier 18 qui a su valoriser aux maximum le travail du réalisateur. Les nombreuses personnalités présentes à l’avant-première, parmi lesquels l’homme politique Dialo Diop Blondin et ou le brillant journaliste et critique d’art (entre autres) Baba Diop, sont sorties bluffés par la réalisation…52 minutes d’une densité pluridimensionnelle !
Un film à voir et à revoir. Un film à archiver pour les générations futures. L’histoire de ce grand musicien mérite d’être racontée. Ce n’est pas sa taille qui fait de lui le géant qu’il est. Un des passages du film met parfaitement en évidence le niveau d’exigence et de professionnalisme qui l’habitaient. C’est donc plutôt son génie, mais aussi ses combats et son amour des autres qui font de lui un géant. Il a vécu en homme-monde, respectant à la note près, ce que son père lui a enseigné un jour : « Tu es un africain né en Amérique » !